Triumph Tiger 660 Sport : à 3 c'est bien aussi
Avec la Trident 660 fin 2020, servant de base à cette Triumph Tiger Sport qui sort tout juste en ce début 2022, Triumph met deux pieds d'un coup, ou presque, dans le gras du marché européen. Est-ce que ça ne lui casserait pas trois pattes, au canard ?
J'aime bien cette expression, ça casse pas trois pattes à un canard
, pour signifier qu'un plat au resto, un article sur un site producteur de contenu
, ou tout autre chose comme une moto, n'a rien d'extraordinaire. Comme le comble du pigeon, qui c'est bien connu a les deux pattes pareilles, surtout la gauche. D'ailleurs, je ne sais pas vraiment ce qui m'a amenée à y penser, au colvert tripode, en laissant à regret les clés de la Tiger 660 au brave Yannick du parc presse Triumph. Ah si, bien sûr, le trois-cylindres, évidemment.
La règle de trois
Car dans ce monde motocycliste ma foi à l'image de la société de consommation occidentale, l'originalité c'est bien vu sur papier glacé, mais ça paye pas (sauf à pouvoir passer la porte d'une enseigne avenue Montaigne et d'en ressortir les bras chargés). Ra-tio-na-li-té. Donc passé le mono exclusivement (ou presque) réservé aux 125, passé la horde de twins mid-size jusqu'aux fleurons américano-germaniques, passé les flopées de quatre pattes nippons ou bavarois, il n'y a guère que de l'autre côté du Channel qu'on se régale des Triple. Le trois-cylindres 900 de la marque aux diapasons mis à part, of course. Alors que le constructeur anglais se soit décidé à venir jouer le chien à trois têtes dans le jeu de quilles des bi et quatre-cylindres 650-700 cm3 accessibles aux bourses moyennes et aux permis A2, soit, en gros, les best-sellers du marché européen, voilà une idée qu'elle est bonne
.
Les soussous dans la popoche, grâce à des modèles à forte valeur ajoutée et une production désormais entièrement délocalisée sous des cieux exotiques (Thaïlande), sauf pour quelques exemplaires d'exception, cela permet à Triumph de songer plus sereinement au développement nécessaire de l'avenir électrique
sous l'angle haut de gamme, pendant que le reste de la gamme profite des évolutions somme toute traditionnelles. Et ça démarre bien ma foi, puisque pour la première fois Triumph a franchit le seuil des 10 000 motos vendues en France en 2021. Tout ça pour dire qu'un trois-cylindres en roadster et en trail routier pour madame tout-le-monde (et monsieur, mais bon, je rends hommage), ça manquait ! Reste à voir ce que Honda va nous pondre avec la future Hornet, mais bon, n'élucubrons pas.
Bleu canard
Voilà pour l'art, voyons la manière. Il y avait peu de doutes à avoir sur cette Tiger 660, précédée de belle façon justement par la Trident. Je suis absolument fan des finitions exécutées par les ouvriers thaïlandais (cela fera bientôt 20 ans que Triumph y a une usine), qui préfèrent faire les soudures du cadre à la main car avec les machines elles sont trop grossières (ce n'est pas moi qui le dit mais une source proche du dossier
). Après, le look, comme d'habitude c'est affaire de goût, disons que pour le coup l'Anglais n'a pas pris trop de risques. Pour l'avoir vue en gris, je ne craquerais pas pour le bleu, qui dès le départ ne m'a rien dit qui vaille. Ça rappelle un peu le bleu de la Sprint, mais au premier regard j'ai pensé à Suzuki, ou à une Fazer, oups. Pour en finir avec les détails, c'est marrant, vu de haut, l'espace béant entre le carénage et la fourche, et je me suis un peu énervée contre les câbles qui passe juste au-dessus du contacteur.
Caoutchouc super doux
Autre détail, mais c'est pour ouvrir le sujet : pourquoi Sport
? Ah oui, pour les repose-pieds alu sans caoutchouc ! Dommage, cet élément aurait peut-être contribué à gommer les toutes petites vibrations ici placées à régime autoroutier. Sinon, de Sport, elle n'en a pas du tout la vocation vous vous en doutez, mais ce serait faire offense au pétillant trois-cylindres et ses vaillants 81 ch que de dire que c'est un Trail routier plan-plan. La vivacité d'un twin en bas, l'allonge d'un quatre-cylindres : l'alliance est plus solide (et réjouissante) que les traités de Minsk. Et même si la partie cycle n'a rien de sportif non plus, l'ensemble se prête fort bien, en toute sérénité, à quelques envolées lyriques qui, bien menées, pourraient rabattre le caquet à d'autres mieux dotées sur le papier. Car on le sait, l'équilibre, la cohérence du tout, y a que ça de vrai, et cette Tiger n'en manque pas.
Tout est bon dans le canard (ou presque)
Ce qui laisse prévoir aussi des voyages chargés à deux, assez confortablement (avec valises plug & play et top-case), même si pour la vocation routière il faut faire le compromis d'un pare-brise (à réglage à une main, même en roulant mais c'est pas bien) peu protecteur, même en position haute pour ma taille (1,60 m), et occasionnant alors quelques bruits parasites. Mon gabarit n'a pas été trop gêné non plus par les 835 mm de hauteur de selle, pas besoin d'aller réclamer l'option basse, et le poids est bien contenu (à peine plus de 200 kg TPF). Bref, c'est tout bénef, et il n'y a guère qu'une injection parfois chatouilleuse à l'ouverture des gaz (électronique) sur le mode Road qui me chiffonne, juste pour dire que du coup le mode Rain atone se justifie en cas de besoin.
Et des Michelin Road 5 qui réagissent pas mal au très bon frein arrière (j'adore, surtout quand l'avant l'est tout autant !). Bizarre, je n'ai pas du tout le même ressenti ici qu'avec les Road 5 sur ma CB500X (toutes choses égales par ailleurs) : ceux de la Tiger sont produits en Thaïlande, les miens en Espagne, ceci expliquerait-il cela ? Pas de quoi en faire un mouton à cinq pattes, ni d'entraver le passage du constructeur anglais dans une nouvelle ère, à la poursuite des généralistes qui dominent nos marchés.